la prise en charge des auteurs de violences conjugales

Abolir les violences conjugales, c’est prendre en charge les victimes, mais aussi les auteurs. Proposer une thérapie aux hommes violents permet de venir en aide à ceux et celles qui subissent. Une approche taboue qui est pourtant soutenue par des psychologues spécialisé.e.s mais aussi certaines associations et d’anciennes victimes.

On parle beaucoup des femmes victimes de violences conjugales, mais trop peu des enfants et des auteurs de ces violences. Comme si s’occuper aussi de ces hommes-là,c’était laisser de côté les victimes. Alors que justement, c’est aider à stopper les violences”,constate Pascal Anger, psychologue spécialisé dans le couple et la famille. Comprendre pourquoi le patient commet des violences, et l’aider à s’arrêter, c’est protéger son.sa conjoint.e. C’est mettre une pierre à l'édifice afin d’éviter les trop nombreux décès qu’il y a chaque année en France (150 en 2019). C’est tenter de soulager et de sortir de l’enfer les plus de 220 000 victimes de violences conjugales dénombrées chaque année.

Traiter le mal à la racine. Telle est l’approche thérapeutique que mettent en place depuis des années de nombreux psychologues et associations.

Une démarche taboue mais “extrêmement importante”

Si cette prise en charge est encore taboue dans le débat public et chez les politiques, elle est pourtant soutenue par des associations comme le Centre d'Information sur les Droits des Femmes et des Familles (CIDFF) 92 Nord qui vient en aide aux victimes et qui anime des stages de responsabilisations auprès des auteurs de violences conjugales depuis 2014. “C’est extrêmement important, cela permet d’agir sur le long terme. Nous, on intervient dans les prisons à travers des ateliers animés par une psychologue et une juriste. L’idée, c’est de leur faire comprendre qu’ils sont responsables, que c’est eux qui ont décidé de répondre à des contrariétés ou des disputes par la violence”, explique Anne-Charlotte Jelty, directrice du CIDFF 92 Nord.

D’autres associations comme l'Association pour le contrôle judiciaire en Essonne (ACJE) et Solfa (Solidarité femmes accueil) dans le Nord et le Pas-de-Calais, mènent également des actions semblables en proposant des stages de sensibilisation à la violence conjugale.

Qu’en pense le gouvernement ?

Jusqu’à présent en France, le suivi des conjoints violents a peu retenu l’attention des pouvoirs publics. Une allusion a été faite lors du Grenelle sur les violences conjugales tenu du 3 septembre au 25 novembre 2019 par le Premier ministre de l’époque Edouard Philippe. L’homme d’Etat avait annoncé la mise en place de deux centres de prise en charge des auteurs de violences par région. “Ils permettront de suivre psychologiquement les auteurs de violences, et permettront d'offrir la possibilité aux victimes de rester à leur domicile". Encore à l’état de projet, ces centres co-financés devraient être financés à hauteur de 50% par l'Etat.

"On ne les excuse pas, on les responsabilise"

Depuis plusieurs années, Pascal Anger a lui aussi développé une prise en charge adaptée aux conjoints violents. Deux “types” de conjoints ont recours aux thérapies de Pascal Anger. Très souvent, ce sont les auteurs de violences eux-mêmes qui viennent le consulter, le plus souvent à la demande de leur conjoint.e. “Ceux que je reçois dans mon cabinet se sont déjà rendu compte qu’ils avaient fait du mal”, remarque-t-il. Mais le thérapeute a déjà reçu en consultation des conjoints qui venaient suite à une injonction du tribunal comme Anne-

Charlotte Jelty et son association. Pour ces personnes-là, la motivation n’est pas la même, constate-t-il. “Beaucoup viennent juste pour obtenir une ordonnance qui atteste qu’ils ont consulté. Ce sont deux profils différents”, ajoute le spécialiste.

Les séances sont généralement individuelles. “Il peut y avoir des séances en couple, mais il faut faire bien attention à ce que le conjoint auteur de violences va dire. Il ne faut pas qu’il se

sente diminué, sinon il risque de se venger sur sa partenaire après le rendez-vous. Ce qu’on ne veut surtout pas.

Lors d’une séance individuelle, le thérapeute discute avec le patient. “Déjà on ne les juge pas. On les écoute. Les auteurs de violences conjugales ont souvent une personnalité d’immatures névrotiques avec beaucoup de fragilité. Ils sont dans le déni, ne se sentent pas responsables de leurs actes. Ils sont paranoïaques, narcissiques, ont un problème dans la construction de leur masculinité, et dans la gestion de leur émotion”, relate l’expert.

Dans un premier temps, “ils se déchargent, ils rejettent la faute sur l’autre”. Des justifications comme “c’est de sa faute, elle n’avait pas fait ce que je lui avais demandé”, “elle m’avait menti” ou encore “elle avait une tenue provocante et sortait le soir”.

L’idée est donc d’inverser les rôles, et de faire comprendre au patient qu’il est responsable du schéma de violence dans lequel son couple s’inscrit. “Lorsque l’on creuse dans leur enfance, on remarque souvent qu’ils ont intégré un schéma de dominé-dominant dans le rapport homme-femme.” Dans ce schéma, il est question de prouver sa virilité, de montrer que l’on est un homme. “On essaie de comprendre d’où vient ce schéma dominant-dominé. Y avait-il des violences dans la famille ? Est-ce que leur mère était dénigrée par le père ? Parfois, il n’y a pas d’explication.”

Ensuite, le thérapeute cherche à déconstruire le mode de pensée de son patient : “on va lui montrer qu’il y a d’autres modèles, d’autres façons d’être un homme”, et que cela ne passe pas par l’agressivité. “On revisite leur manière de penser, on lui fait comprendre qu’un autre homme ne serait pas passé à l’acte. On le responsabilise. C’est lui qui a décidé d’être violent, et non sa conjointe.” “On ne les excuse pas”, insiste Pascal Anger.

“On ne naît pas violent”

Suite à ces séances, le thérapeute affirme avoir vu une prise de conscience chez certains de ses patients. Mais ses efforts représentent un grain sable sur une immense plage. En France, peu de professionnels sont formés à recevoir des auteurs de violences conjugales, contrairement à des pays comme le Canada où les centres ’accueil pour hommes violents envers leur compagne sont nombreux.

Pourtant il faut miser sur la prévention, s’accordent à dire le psychologue, la directrice de la CIDFF 92 Nord, mais aussi Marie Gervais, autrice de “Il me tue cet amour”. “Moi en tant qu’ancienne victime, j’ai besoin de comprendre comment certains hommes décident de passer à l’acte, et pourquoi ils le font avec leur femme, mais pas leur mère, ni leur sœur, ni leur amie. Je soutiens ces démarches à fond, je suis même impressionnée par les sommes qui décident seuls, d’aller voir un thérapeute”, partage-t-elle. “Mais cela m’intéresse aussi d’aller attrapper les personnes qui n’ont pas conscience d’être auteurs.” Pour elle, cette prise en charge s’apparente littéralement à de “la rééducation”. “Je n’aime pas que l’on définisse ces hommes comme des pervers narcissiques. Ça les enferme dans une pathologie, ils sont étiquetés comme malades, ce que je refuse de croire. Leur mettre cette étiquette, c’est penser qu’ils ne peuvent pas changer. Moi j’ai besoin de croire qu’ils peuvent changer. Je ne suis pas psy, mais je pense qu’une prise de conscience est nécessaire, de comprendre pourquoi ces personnes ont besoin de soumettre et d’abuser d’une autre.”

Ce que partage Anne-Charlotte Jelty. “La prévention est de mise, et ce dès le plus jeune âge. Les violences conjugales ne peuvent exister que dans les sociétés patriarcales. Il faut s’attaquer à l’ensemble, au rapport et à l’égalité homme-femme. Il faut éduquer les petits garçons, leur apprendre qu’ils ont le droit de pleurer, et enseigner aux jeunes filles qu’elles ont le droit de prendre la parole, qu’elles sont légitimes. En d’autres termes, lutter contre les stéréotypes sexistes.

“Je suis persuadée qu’on ne naît pas violent, mais qu’il y a à un moment dans la construction identitaire de ces hommes quelque chose qui les fait devenir violents, peut-être une grande souffrance intérieure, complète Marie Gervais. Encore une fois, j’ai besoin de croire qu’on peut rééduquer ces hommes et comprendre comment notre culture pousse des hommes et des femmes à passer à l’acte, et à vouloir à tout prix soumettre.”

Valentine Poignon

Sources :

Interview de Pascal Anger, psychologue - http://www.pascalanger.fr/

Interview d’Anne-Charlotte Jelty, directrice du CIDFF 92 Nord - https://hautsdeseine-nord.cidff.info/

Interview de Marie Gervais, auteure de “Il me tue cet amour” aux éditions Massot - https://massot.com/collections/il-me-tue-cet-amour/

Podcast “Les couilles sur la table” de Victoire Tuaillon, avec en invitée Virginie Despentes - https://www.binge.audio/podcast/les-couilles-sur-la-table/virginie-despentes-meuf-king-kong