Atlantico - Mai 2016 : Enfant aîné, enfant privilégié ?

Atlantico, mai 2016

Atlantico.fr : Si on suit attentivement l'étude de Katherine Conger, "Reciprocal Links Among Differential Parenting, Perceived Partiality, and Self-Worth: A Three-Wave Longitudinal Study" l'ordre de naissance des enfants joue toujours un rôle clé dans la perception que les parents ont d'eux. L'aîné aurait toujours une position privilégiée par rapport à ses frères et sœurs plus jeunes. Et par position privilégiée, on entend de plus fortes attentes. Est-ce une situation que vous avez pu constater au cours de vos consultations ?

Pascal Anger : L'aîné, c'est la réalisation de l'enfant imaginaire que nous portons tous en nous. C'est une place à part dans l'imaginaire des parents. Pourquoi ? Parce que c'est celui qui va construire la famille. C’est celui avec lequel on va faire les premiers biberons, les premières marches, tout ce qu'on fait avec un bébé et qu'on n'a jamais fait jusqu'à présent. C'est lui qui va nous permettre "d'essuyer les plâtres " comme on dit.

A : Qu'entendez-vous par là ?

PA : C'est-à- dire que quand on devient parent, on ne sait pas trop comment s'y prendre. A ceux qui vont venir après, on va être plus détendu, vraisemblablement vis-à- vis d'eux parce qu'on saura comment ça se passe. L'aîné est toujours porteur d’un espoir plus grand par rapport aux autres. Mais alors, qui dit espoir dit dette de cet aîné parce que plus les parents vont mettre d'espoir dans cet enfant et plus l'enfant va se sentir en dette par rapport à ses parents.

A : Vous confirmez que l'aîné a toujours une place à part dans la famille, du moins c'est ce que vous constatez durant vos consultations.

PA : Complètement.

A : L'étude affirme également que l'aîné a, par sa position privilégiée dans la famille, une meilleure opinion de lui-même et une meilleure confiance en lui. Confirmez-vous cette analyse ? Si oui, pouvez-vous expliquer pourquoi ?

PA : Il est important, mais ce n'est pas le tout d'avoir des parents. Il y a également un entourage. Tous les parents ne sont pas des parents aimants pour le premier enfant parce que parfois c'est arrivé par accident ou dans un moment ou le couple n'était pas au diapason. Il va être porteur d'une répétition de nos qualités et des défauts propre à l’éducation des parents. Les parents vont être ainsi amenés à profiter des choses sur cet enfant. C'est important que tous les enfants entendent des mots d'amour, peu importe leur ordre dans la fratrie. Si l'aîné n'a pas entendu des paroles d'amour fortes, il n'est pas pour autant en difficulté car il peut avoir des personnes "ressources " autour de lui qui vont lui donner ces paroles d’amour et lui permettre de se sentir aimé.

A : Qui peuvent-être ces personnes ressources si il ne s’agit pas de la famille ?

PA : Ça peut être la famille, les amis, l'école, les oncles, les tantes, les grands-parents. Toutes les personnes qui entourent la famille.

A : Mais plus pour l'aîné que pour les autres ?

PA : Pas plus pour l'aîné que pour les autres. C'est en fonction d'eux. Vous savez bien que de toute manière, on peut avoir des préférences ou aimer d'avantage l'aîné à un moment donné. Et puis on peut perdre cette image de l'amour de l'aîné parce qu'il nous a déçus à un moment donné pour x raison.

A : Dans l'analyse de Katherine Conger, elle nous dit que la position privilégiée dans la famille génère le fait que les aînés ont une meilleure opinion d'eux-mêmes et une meilleure confiance en eux. Est-ce quelque chose que vous confirmez ?

PA : C'est quelque chose que l'on rencontre assez souvent.

A : A condition qu'ils aient été aimés.

PA : Voilà.

A : Parce qu'on s'est mieux occupé d'eux à la naissance que les autres ?

PA : C'est eux qui construisent et personnifie la famille. Du coup, les parents vont idéaliser cet enfant.

A : Du coup on lui attribue toutes les qualités.

PA : On est toujours dans un imaginaire parce qu'on n'est pas sûr du résultat.

A : L'étude souligne que cette position privilégiée de l'aîné dans la famille a un impact sur ces frères et sœurs, en particulier sur le cadet. A savoir que celui-ci perd l'estime de soi, ai moins de confiance en lui et ne se développe pas mentalement de manière équilibrée. Est-ce quelque chose que vous confirmez ? Infirmez ? Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

PA : Les parents font souvent moins attention aux cadets car ils ont l'impression que leur éducation coule de source et que ça va aller tout seul.

A : Là où ils cadrent tout pour l'aîné ?

PA : Exactement.

A : Ce n'est pas forcément vrai. Je suis l'aîné et il n'y avait pas les mêmes règles pour moi que pour le second.

PA : Tout dépend à quel moment on vient encore une fois dans la fratrie. Tout dépend de la ou en sont les parents. Tout dépend de la manière dont s’articule la relation parent-enfant. La relation parent-enfant est une relation à deux, voire à trois voies. C'est-à- dire que c'est l'enfant qui fait le parent.

A : Est-ce que du coup, vous confirmez que cela peut avoir des impacts négatifs sur le cadet ? Le fait de se dire que l'aîné est un peu survalorisé ?

PA : Tous dépend du ressenti du cadet et tous dépend du ressenti de l'aîné. Tous dépend de ce qu'il en sera dit. C'est-à- dire: est-ce que tout se passe dans du non-dit ou est-ce qu'à un moment donné, les parents peuvent reconnaître là où ils en sont dans leurs attentes et dans leurs besoins du côté des enfants.

A : Et si impact négatif il y a, comment se traduirait-il sur le cadet ?

Il y a le risque qu’il se sente moins aimé que l'autre, qu'il se sente plus dévalué par rapport à l'autre et qu'il ne sente pas du tout entendu.

A : Ce favoritisme envers l'aîné, peut-il entraîner des situations pathogènes au sein de la sphère familiale, au point d'aller consulter un thérapeute ?

PA : Bien sûr que ça peut. C'est important. Ce n'est pas pour rien qu'il existe justement des thérapies familiales. Il faut qu’à un moment donné, chacun reprenne sa place.

A : Est-ce que vous auriez un exemple en tête à me donner ? Un exemple concret de cas que vous auriez eu au cours de vos consultations ?

PA : J'ai connu une situation où un des enfants était brillant au niveau des études, l'autre beaucoup moins mais il possédait un talent en musique. Les parents n'avaient jamais pris conscience à quel point leur enfant brillait dans ce domaine. La thérapie a donc permis de mettre en lumière ce besoin pour lui de faire de la musique. Il s'est tourné vers la musicologie et est devenu un brillant musicien.

A : Et la thérapie a servie à ouvrir les yeux aux parents sur le fait que le second avait aussi du talent.

PA : Exactement. Car il avait des capacités qui étaient autres et qu'il fallait les entendre.

A : Et c'est donc le but d'une thérapie familiale ? De rééquilibrer la famille ?

PA : C'est de rééquilibrer chacun dans une harmonie qui permette de tisser des liens de complicité. Qu'on puisse comprendre que chacun souhaite retrouver l'amour perdue d'un père ou d'une mère par exemple.

A : Les parents sont-ils conscients de favoriser leur aîné en se disant que c'est celui sur lequel ils misent ?

PA : Pas toujours. Ce qui est important, c'est que les parents puissent développer chez chacun de leurs enfants sa propre créativité et que cette créativité soit entendue. Chaque histoire est singulière et le talent de chacun est singulier.

A : Que recommandez-vous pour rééquilibrer les relations familiales ?

PA : Je crois qu'il faut être inventif. Il faut être dans la communication, être à l'écoute des besoins de chacun et que chacun puisse exprimer ses besoins.

A : A partir de quel moment conseillez-vous de consulter un spécialiste ?

PA : C'est différent pour chacun. Quand on se trouve dans une impasse et qu’on ne parvient pas à trouver par soi-même l’issue de secours. Quand on sent qu’un certain membre de la famille souffre, voire tous les membres de la famille. C’est important de se dire qu’il y a quelque chose à faire ensemble.